Le coronavirus va tuer plus de PME que d'êtres d'humains
Chronique d'Eric Le Boucher
Les animaux sauvages sont, paraît-il, une réserve infinie de virus qui peuvent avoir l'envie soudaine de muter pour nous attaquer. La nature réchauffée n'est pas si affaiblie que ça… Avec la consommation traditionnelle chinoise de toutes sortes d'espèces vivantes à carapace, à plume et à poil, dans des conditions d'hygiène douteuses, nous ne sommes pas au bout des épidémies. Le coronavirus est la quatrième depuis 2000 dont nous gratifie gratuitement l'empire du Milieu. Comme la mondialisation n'a pas de frontières, le front est vite devenu global. Il y a désormais plus de malades hors de Chine qu'en Chine.
Bloquer l'offre
Ce Covid-19 n'est pas des plus costauds. Sa mortalité est revue à la hausse par l'Organisation mondiale de la santé à 3,4 %, plus que la grippe (1 %) donc, mais il se transmet plus difficilement qu'elle. La propagation peut échapper au contrôle dans certaines régions (en Inde, désormais touchée, ou en Afrique), mais il y a, globalement, de bonnes chances de pouvoir stabiliser l'épidémie par les mesures connues et raisonnables de contingentement. Il faut rester prudent, mais la crise sanitaire mondiale, en nombre de décès, pourrait, devrait, rester mineure.
Il en est autrement de la crise économique née des conséquences. Si le corona a des ailes faibles, il est très malin de cervelle. Il se glisse exactement dans les deux failles de notre époque : l'éclatement des chaînes de production lui permet de bloquer l'offre, le règne de l'émotion « virale », grâce aux réseaux sociaux, lui permet de glacer la demande. Son impact sera conjoncturellement dur et structurellement durable.
Paralysie des usines
Les quantités de CO2 émises par la Chine ont chuté d'un tiers en février, à cause de la paralysie des usines. Un indice qui ne ment pas. L'empire est à l'arrêt, on parle d'une récession de -5 % au premier trimestre, du jamais-vu. Xi Jinping, qui sait jouer gros, essaie de toutes ses forces d'obliger les Chinois à reprendre le travail. On peut douter qu'il y arrive facilement. Sans Chine, tout déraille. Les pièces détachées, notamment électroniques, que le pays était seul à fournir, ont commencé à manquer en Corée et au Japon, les derniers cargos sont arrivés en Europe et aux Etats-Unis, partout les pénuries figent les chaînes.
"Le pire est toujours pour un industriel de fabriquer sans vendre, d'accumuler des stocks et de courir à la faillite. Si le corona étouffe les gens, il étrangle surtout l'économie"
« Ce n'est pas plus mal, confie un dirigeant de l'automobile, puisque les automobilistes ont déserté les concessions. » Le pire est toujours pour un industriel de fabriquer sans vendre, d'accumuler des stocks et de courir à la faillite. Si le corona étouffe les gens, il étrangle surtout l'économie. Pour peu que la crise dure encore plusieurs semaines, il aura tué dans le monde, sans doute, plus de PME que d'humains. La crise est plus économique que sanitaire.
Entreprises zombies
Donald Trump, qui joue gros lui aussi avec sa réélection, est aveuglément coronasceptique, mais la Federal Reserve a compris l'immense danger en abaissant ses taux. De Pékin à Paris, tous les gouvernements sont aux petits soins pour soulager les trésoreries vidées des entreprises. Les banques sont sollicitées, mais apparaît un autre danger : mettre au grand jour le nombre élevé d'entreprises zombies, très fragiles, que la politique monétaire de taux bas avait laissées en vie. Le secteur financier va lui aussi souffrir, comme l'industrie, le commerce, le tourisme. L'OCDE a prévenu que si l'épidémie se poursuivait, l'Europe tomberait en récession. La crise, redoutée mais écartée par les marchés depuis des mois, viendrait d'un obscur pangolin transmetteur de virus. Les dégâts sont partis pour être considérables.
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La mondialisation déjà corrigée, d'abord par la hausse des salaires en Chine, puis par la pression des écologistes pour produire local, va l'être fortement au nom de l'indépendance des nations. La structure de l'économie mondiale va se rééquilibrer, mais sans se fermer : si l'usine locale de composants tombe en panne ou en grève, il faudra retourner sur le marché mondial pour s'approvisionner. On imagine encore mal quels seront demain les nouveaux chemins du commerce.
Ce qui est certain est l'entrée dans un monde d'instabilités telluriques et de surprises maléfiques. Le risque dans cet univers est que les entreprises fassent comme les ménages : réduire leurs dépenses et leurs ambitions par crainte. La crise financière avait déjà abaissé le niveau général d'investissement privé de 8 % du PIB à 5 %, selon l'OCDE. Idem pour les investissements publics. Le petit corona aurait gagné sur le grand homme s'il le rendait peureux. L'humanité et la planète n'ont pas besoin de pleurs, mais de sciences et d'immenses investissements pour affronter les aléas qui viennent.
Source : Lesechos.fr